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Réflexion : “Responsabilité civile et pénale du journaliste au Cameroun”

C’est sur le thème au centre de l’exposé de Hon Dr maître Fotso Fostine, Avocate, Docteur en Droit Pénal de l’Environnement de l’Ecole Doctorale de l’Université de Lyon 3 Jean Moulin-France, à la faveur de la troisième Assemblée générale de l’association des journalistes patriotes du Cameroun (Ajpc), tenue du 27 au 29 Avril 2023 à Edéa. Une sortie éducative à plus d’un titre, dans un environnement où le délit de Presse est légion.

La responsabilité est l’obligation ou la nécessité morale de répondre, de se porter garant de ses actions ou de celles des autres. La responsabilité civile quant à elle est l’obligation de réparer les dommages causés à autrui alors que la responsabilité pénale est l’obligation légale faite à une personne, reconnue coupable par un tribunal, de supporter la peine prévue par la loi correspondant à une infraction. Elle est applicable aux personnes physiques et aux personnes morales, par l’intermédiaire des mandataires sociaux, qui les représentent. Le journaliste en général et le journaliste camerounais en particulier joue un rôle essentiel dans la circulation des informations. Il vante, il dénigre, il dénonce. Bref il régule la société : C’est le 4ième Pouvoir, mais pas de pouvoir sans responsabilité.

Le droit de la responsabilité étant un droit essentiellement prétorien, il est impératif de sensibiliser les journalistes sur le risque du métier. Le législateur camerounais réprimande sévèrement les dérives journalistiques. Ainsi, l’article 113 du Code pénal camerounais, dispose : « celui qui publie un document qui propage de fausses nouvelles « est puni d’un emprisonnement de trois (03) mois à trois (03) ans et d’une amende de cent mille (100.000) à deux millions (2.000.000) de francs… ». Mais nombreux sont les journalistes qui estiment que la loi camerounaise est très répressive en cette matière et que l’autoritarisme s’est perpétué en s’adaptant au nouveau contexte. Et pensent qu’en France par exemple ils évolueraient mieux. Ils se trompent car des nombreux textes existent en droit français pour réprimer les diffuseurs de fausses nouvelles dans l’intention de nuire et également fixer des règles aux plateformes numériques. C’est ainsi que l’article 27 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 punit la propagation de fausses nouvelles lorsqu’elles sont susceptibles de troubler la “paix publique”.

Le code pénal français sanctionne d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de porter volontairement atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui au moyen d’un procédé quelconque. Il punit d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait de publier, par quelque voie que ce soit, le montage réalisé avec les paroles ou l’image d’une personne sans son consentement, s’il n’apparaît pas à l’évidence qu’il s’agit d’un montage ou s’il n’en est pas expressément fait mention. Au-delà de ces textes spécifiques, des incriminations générales peuvent être utilisées : notamment, l’infraction de diffamation, définie par la loi sur la liberté de la presse (“Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé”). Si la falsification porte sur un aspect de la vie privée, la victime peut saisir le juge des référés, sur le fondement des dispositions de l’article 9 du code civil français selon lequel “chacun a le droit au respect de sa vie privée” (protection contre toute atteinte portée au droit au nom, à l’image, à la voix, à l’intimité, à l’honneur et à la réputation, à l’oubli, à sa propre biographie). Pourtant, l’ancien Président français François Mitterrand, pour rendre hommage au journalisme disait : ” Montesquieu pourra se réjouir, à distance de ce que le quatrième pouvoir ait rejoint les trois autres et donné à sa théorie de la séparation des pouvoirs l’ultime hommage de notre société”.  Il est  aussi fait allusion ici au pouvoir médiatique venu agrémenter la liste des trois autres pouvoir : Exécutif, Législatif et Judiciaire, piliers de l’idéologie démocratique. Ce quatrième pouvoir est légitimé par le fait que l’activité des médias repose sur la liberté d’expression, considérée comme l’une des pierres angulaires de la démocratie.

Toutefois, les médias sont confrontés à une limite primordiale : Celle de ne pas empiéter sur les droits d’autrui. D’où son caractère d’irresponsable. C’est ainsi que relativement aux bavures des journalistes, Mr Rissouck A Moulioum, alors Procureur Général (PG) de la Cour Suprême du Cameroun affirmait: “la presse est une bouche forcée à parler; toutefois, celle-ci attaque ainsi , non seulement la vie privée de certaines personnes, mais aussi expose à l’attention des citoyens des évènements et situations dont elle n’a pas les preuves, préjudiciant aux droits et libertés des citoyens”. Il ressort de cette déclaration de Monsieur le PG que la presse camerounaise porte directement ou indirectement atteinte aux droits et libertés fondamentaux  des tiers , au mépris des lois et règlements en vigueur ; ce qui engage malheureusement la responsabilité civile (1)  et pénale (2) des acteurs du journalisme. Il s’agit des délits de presse commis dans le cadre de la radio, la télévision, le Web, la presse etc.

1) la responsabilité Civile du journaliste au Cameroun

La responsabilité civile du journaliste est constituée de   la faute, du dommage et du lien causal et sa mise en cause suppose, d’abord, d’établir qu’une faute a été commise. On peut cependant distinguer les fautes résultant d’un acte de celles résultant d’une omission ou d’une abstention. Les premières constitueront des atteintes aux droits de la personnalité, soit de nature quasi-pénale (atteintes à l’honneur et à la réputation) soit par lésion d’un droit constitutionnellement garanti (atteintes à la vie privée) ; les secondes résulteront de la violation de règles professionnelles de comportement telles que l’obligation de prudence et le devoir de vérification. Un organe de presse peut porter atteinte à la vie privée ou à l’honneur d’un tiers parce que le journaliste n’a pas respecté son obligation de prudence. Mais l’atteinte aux droits de la personnalité peut aussi être sanctionnée de façon autonome, sans qu’une obligation professionnelle pure ait été préalablement violée.

Par contre, une faute d’abstention isolée a peu de risques d’être poursuivie si elle n’a pas eu pour conséquence une atteinte aux droits de la personnalité : dans cette hypothèse en effet, il n’y aura vraisemblablement pas préjudice, mais sans doute pas non plus intérêt à agir. À la différence de la responsabilité pénale qui oblige l’auteur ou le complice d’une infraction délictuelle à répondre de ses actes devant la société, la responsabilité civile permet de réparer un préjudice pour des dommages causés à un tiers. Cette responsabilité peut être du fait personnel (a) et du fait d’autrui (b).

a- La responsabilité du fait personnel

Cette responsabilité trouve son fondement juridique dans les articles 1382 et 1383 du code civile camerounais. Ils disposent respectivement : “tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer” et que : “chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait….” Il s’agit donc ici d’une sanction réparation. Cette dernière étant généralement pécuniaire du fait du dommage subit qui peut être moral, matériel… Voilà ce à quoi s’expose sur le plan personnel, le journaliste dont la responsabilité civile est engagée. Mais la condition ici est que la faute soit prouvée et qu’il y ait un dommage et un rapport de causalité.

b- La responsabilité civile du journaliste du fait d’autrui 

Il s’agit généralement de la responsabilité des patrons des organes de presse. C’est à dire l’obligation de répondre en réparation du préjudice causé par les personnes dont on a la charge d’organiser, de diriger et de contrôler. Ces personnes répondent généralement au nom et pour le compte de l’organe employeur qui a à sa tête un promoteur qui peut être journaliste. Cette responsabilité trouve son fondement dans l’article 1384 du code civil qui dispose : “on est responsables non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait mais encore de celui qui est causé par le fait d’une personne dont on doit répondre”

2) la responsabilité pénale du journaliste au Cameroun

Cette responsabilité pénale n’existe qu’en fonction de la loi (l’élément légal) comme le dispose l’article 17 de la loi N°2016-07 du 12/07/2016, modifiée en 2019 : “les peines et mesures sont fixées par la loi et ne sont prononcées qu’en raison des infractions légalement prévues”. La responsabilité pénale est individuelle (personne physique), mais concerne aussi les personnes morales. Pour les personnes physiques. Ici, l’article 74(1) code pénal dispose: “aucune peine ne peut être prononcée qu’à l’encontre d’une personne pénalement responsable”. La responsabilité pénale du journaliste camerounais est généralement engagée du fait de la violation de la loi pénale en ses articles 154 (outrage au Président de la République), article153 (outrage aux Corps Constitués et aux fonctionnaires), article 304 (dénonciation calomnieuse), article 303 (chantage), article 305 (diffamation), article 307 (injures), article 113 …ces dispositions sanctionnent les atteintes à l’honorabilité, la tranquillité, la considération… des particuliers par des faits, informations . .donc la véracité n’est pas rapportée.

L’élément commun de ces infractions est qu’elles sont des délits, c’est à dire les peines privatives de liberté pour ces infractions regroupées, sont maximum 6 ans. Dans la jurisprudence Monga-njawe en 1990, l’économiste Monga et son éditeur pius Njawe, fondateur du journal le Messager sont arrêtés et, le 18/01/1991 au terme de trois audiences, condamnés à 6 mois de prison avec sursis et 300.000fcfa d’amende chacun pour outrage au président de la République Paul Biya et aux corps constitués. Le 27 octobre 1995, un autre est condamné à 12 mois de prison ferme pour avoir traité le Président de la République Paul Biya d'”animal pensant”. Le tribunal s’étant focalisé que sur le terme : “animal”.

Sur la responsabilité de la personne morale

Ici il faut relever qu’il s’agit de la personne morale privée. Ce sont les organes ou entreprises de presse en général. Le journaliste doit avoir agi dans l’intérêt et pour le compte de l’organe ou de la personne morale. C’est ainsi que l’article 74(a) du code pénal dispose : “les personnes morales  sont responsables pénalement des infractions commises pour leur compte, par leurs organes ou représentants”. Ainsi, les peines principales sont prévues par les articles 18(b) code pénal : dissolution, article 25(2) : fermeture temporaire ou définitive de l’établissement, article 25(1): une amende. Pour les peines accessoires, on a l’article 19(b) : Interdiction pour une durée déterminée de s’investir directement ou indirectement dans l’une ou plusieurs des activités prévues par son objet social…, Article 20: Interdiction de s’investir dans une activité précise pour une durée déterminée….En définitive, le Cameroun a consacré les libertés dans ses lois de 1990.

Toutefois ces libertés sont limitées par le respect des droits des uns et des autres. Même l’article 11 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen prévoit que de nécessaires limites y soient apportées. Ainsi en cas de violation de ces limites, les journalistes voient malheureusement leur responsabilité pénale et civile engagées devant les juridictions compétentes. L’expression des les libertés ne signifie donc pas violation des droits des tiers. Car ne dit-on pas souvent : “ma liberté s’arrête où comme celle de l’autre”.

Je vous remercie pour votre aimable attention.

(c) Hon Dr Maître Fotso Fostine, avril 2023

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