DOSSIER

MFOUAPON HENOCH : “Le PBF promeut l’autonomie financière des formations sanitaires”

L’Administrateur du Système National de Gestion des Données du Financement Basé sur la Performance (PBF) passe en revue cette organisation. Il s’est confié au micro de notre rédaction au terme de la mission d’évaluation des acteurs de la mise en œuvre du PBF dans la Région de l’Ouest.

Vous êtes venus à Bafoussam pour une mission de contrôle et de vérifications des activités de l’ACV/OUEST. Pouvez-vous clarifier davantage le but et les objectifs de votre descente sur le terrain ?

Merci pour cette opportunité. Pour le contexte actuel nous sommes en mission d’évaluation des acteurs de la mise en œuvre du PBF dans la Région de l’Ouest. Donc il ne s’agit pas uniquement de l’ACV, mais de tous les autres acteurs notamment la Délégation Régionale de la Santé Publique et le Fonds Régional pour la Promotion de la Sante. C’est une équipe constituée non seulement de la CTN – PBF, mais des autres directions du ministère de la Santé à l’instar de la Direction des Ressources Financières et du Patrimoine et puis de la Cellule des Informations Sanitaires. L’objectif de la mission c’est de nous assurer que le PBF se porte bien dans la région et que chaque acteur fait effectivement son travail et comme son nom l’indique, le financement basé sur la performance voudrait qu’on paie chaque acteur sur la base du travail qui serait effectivement réalisé et que nous aurions vérifié. Donc à l’issue de cette mission, nous pourrons arrêter la facture de chaque acteur aussi bien l’ACV, le Fonds Régional, que la Délégation Régionale pour la Santé Publique. Nous aussi allés sur le terrain pour nous assurer que tout se passe bien dans les districts de santé et que l’ACV fait bien son travail dans les formations sanitaires. Quand vous savez que tout le processus de paiement est basé sur les prestations qui sont réalisées et qui sont vérifiées sur le terrain par les centaines de vérificateurs médicaux qui sont éparpillés dans tous les districts de santé.

Quel est l’état de santé du programme PBF dans la Région de l’Ouest et partant dans l’étendue du territoire national ?

Par rapport à la Région de l’Ouest, nous pouvons dire que le PBF continue à faire son chemin. C’est depuis le quatrième trimestre 2018 que le programme a commencé dans la région et c’est une réforme institutionnelle. Quand on parle de réforme institutionnelle, on pense au changement de mentalité, à une nouvelle façon de faire et toute réforme qui interpelle l’intervention des hommes et le changement d’habitudes nécessite de prendre un peu de temps pour pouvoir évaluer dans ses vraies valeurs. Pour le moment dans la région de l’ouest, de manière globale, nous pensons que le programme se porte plutôt bien et nous pensons également qu’il y’a des choses à faire à tous les niveaux pour que le programme puisse mieux se porter. On a traversé des moments difficiles ou il y’a eu un retard prolongé dans le paiement des prestations, mais nous pensons que tout est en train d’être fait aussi bien par Monsieur le Ministre de la Santé Publique que par tous les responsables de la Cellule Technique Nationale du PBF, pour réduire au maximum les retards liés au paiement et tout ceci pourrait sans doute amener tous les autres acteurs à améliorer leurs performances. De manière globale comme je vous l’ai dit, ça se porte bien dans la région malgré les faiblesses qu’on a constatées et pour lesquelles on a fait des recommandations à tous les acteurs aussi bien du niveau régional que dans les structures sanitaires que nous avons parcourues pour que les choses puissent s’améliorer.

On se rend compte que le PBF ne tient pas compte des performances professionnelles. Prenons le cas d’un aide-soignant qui aura évolué de par son expérience pour devenir un excellent accoucheur et de même pour un vieil infirmier qui fait bien des interventions chirurgicales, ou même pour une formation sanitaire dans un coin reculé qui réussit à produire des merveilles. Pourquoi le PBF ne tient pas compte de ce type de performance, lorsqu’on sait qu’il n’y a pas un processus d’avancement en grade dans le corps de santé publique au Cameroun ?

Merci encore pour cette question qui parait très pertinente. D’entrée de jeu, je voudrais juste dire que le PBF ne vient pas redéfinir un nouveau système de santé, mais plutôt pour s’appuyer sur des textes existants pour pouvoir assurer leur applicabilité ou leur application sur le terrain. On pourrait penser dans un contexte où les ressources humaines sont limitées, accréditer certains personnels qui ont une certaine expérience des aides-soignantes qui consulteraient, des infirmiers expérimentés qui opèreraient. Mais ceci n’est pas conforme aux textes qui régissent notre système de santé et même si cela se ferait, il y’aura un risque avéré pour cela parce qu’on ne pourra pas contrôler, si on commence cette ouverture là pour certains personnels, on risque se retrouver dans des dérives et après les conséquences seront difficilement supportables. Nous pensons qu’en termes de consultation, cela devrait se limiter au niveau des Infirmiers Diplômés d’Etat, parce qu’ils ont reçu une formation pour cela et qu’ils sont qualifiés pour apporter le meilleur diagnostic. Au niveau des opérations chirurgicales aussi, les infirmiers quoi que qualifiés ne seront sans doute pas autorisés à faire des opérations, mais ils pourrons être assistés par des personnels plus qualifiés. Malheureusement la loi est dure mais on doit l’appliquer et dans le cadre de l’achat des performances justement, nous veillons à ce que les prestations achetées soient des prestations réalisées par des personnels qualifiés au sens du terme parce que rien ne nous dit que l’ancienneté confère forcément l’expérience. S’il y a certaines personnes dont l’ancienneté pourrait conférer une certaine expérience dans certaines choses, nous savons tous qu’il y a aussi des gens qui peuvent faire des années sans toutefois acquérir l’expérience nécessaire sur certains points, surtout des points essentiellement techniques comme des consultations spécifiques et puis des opérations chirurgicales qui sont très complexes, donc on ne souhaiterait pas donner cette ouverture-là.

Alors Monsieur Henoch dites-nous, pourquoi jusqu’à présent sur le terrain ça traine de payer les factures ? Il y’a des remous dans les formations sanitaires, relatifs au paiement des subsides. Faut-il laisser entendre qu’il n’y a pas constamment de l’argent dans les caisses ?

D’entrée de jeu, disons que nous sommes dans un pays où les ressources sont limitées et l’Etat a pris beaucoup d’engagements à travers les efforts de guerre et d’autres initiatives. Avant de se poser les questions sur le retard, il faut savoir d’où on vient. Le PBF a commencé par 4 régions, 26 districts de santé et près de 156 formations sanitaires. Actuellement, nous sommes passés à l’échelle où nous avons pratiquement près de 180 districts de santé déjà enrôlés pour près de 3600 formations sanitaires, vous voyez ! Il faut payer 3600 formations sanitaires chaque mois, ceci nécessite de prendre en compte certains préalables, de bien vérifier les prestations avant de les payer et forcément ça prend un temps et les structures en charge vont connaitre sans doute des retards, ça c’est sur le plan administratif en terme de volume d’activités on peut prendre du retard. Mais ce que je puisse vous dire, c’est que les engagements sont en train d’être pris à tous les niveaux pour limiter au maximum ces retards de paiement parce que nous savons tous que l’argent c’est le ‘‘nerf de la guerre’’. Quand les gens ont presté, en réalité on doit les payer dans un délai raisonnable.

La décision de suspendre les formations sanitaires en nombre important pour non atteinte de performance ne viendra-t-elle pas paralyser ou même décourager le système qui vraisemblablement est encore en chantier? Autrement dit, ne pouvait-on pas trouver une autre stratégie de motivation que d’écarter carrément ces institutions ?

L’ACV comme son nom l’indique ne fait que son travail qui est de veiller chaque trimestre à ce que les formations sanitaires éligibles puissent renouveler leurs contrats et comme on a dit, pour bénéficier d’un contrat PBF, il y’a des conditions et à chaque fois qu’une formation sanitaire est enrôlée, elle a trois trimestres pour se conformer aux conditions de renouvellement des contrats. Ces conditions, c’est qu’on s’assure que les formations sanitaires donnent des soins de qualité à la population, il y a une norme en terme de qualité et de bonne gouvernance financière parce que le PBF promeut l’autonomie financière des formations sanitaires mais également voudrait que la gestion financière des formations sanitaires se fasse de manière participative. Ce n’est plus désormais la décision juste du Chef de Centre ou bien d’un Directeur d’Hôpital, mais la décision de gestion doit se faire de manière collégiale avec l’ensemble des autres personnels de l’hôpital. Donc on voudrait justement que cette gestion soit participative et transparente. C’est l’un des critères de renouvellement des contrats. L’autre critère c’est qu’on puisse effectivement retrouver des patients qui sont déclarés dans la communauté, si on ne les retrouve pas malgré les différentes enquêtes par les associations locales, par les superviseurs communautaires, on conclurait qu’il s’agit sans doute des patients fictifs que la formation sanitaire aurait déclarés. Voilà les trois critères qui permettent à l’ACV de renouveler le contrat avec une formation sanitaire. Et la formation sanitaire qui n’aura pas respecté les critères malgré les trois trimestres dont au moins neuf mois, malheureusement l’ACV sera obligée de réagir, parce que d’autres instances vont aussi vérifier et s’assurer que l’ACV a bien fait son travail, on sera obligé d’appliquer les critères. Mais après, selon le contexte de chaque zone, le régulateur notamment les Chefs de Districts de santé et le Délégué Régional pourraient apprécier la situation et donner un avis qui compte ou bien adresser une sanction administrative auprès des formations sanitaires qui ne travailleraient pas selon les règles pour pouvoir les amener à changer de comportements. Donc nous pensons aussi que s’il y’a une action forte auprès du régulateur du système de santé pour pouvoir contraindre les uns et les autres de pouvoir améliorer leur façon de faire, l’ACV pourrait continuer la contractualisation sous réserve d’un engagement qui serait pris par les responsables, pour pouvoir améliorer le trimestre suivant.

Parmi les équipes de contrôle techniques qui viennent sur le terrain, on se rend compte que les recommandations varient en fonction des groupes et les agents s’en plaignent. N’y a-t-il pas un manuel de procédure standard qui peut permettre aux personnels de travailler de manière harmonisée ?

Je pense qu’il existe non seulement un manuel de procédure standard mais également des contrats opérationnels qui sont basés sur ce manuel de procédure et qui sont signés tous les trois mois. Ces supports doivent être mis en œuvre, à notre sens peu importe le nombre d’évaluateurs. La base reste le contrat et le manuel des procédures. Le problème viendrait certainement du fait que tout le monde n’est pas au même niveau d’information, tous les acteurs ne prennent pas toujours le temps de lire le manuel des procédures, parcourir le contrat et voir tous les critères d’évaluation qui s’y trouvent parce que quelques soient les équipes d’évaluateurs, la base ne change pas. Toutes les règles d’évaluation sont comprises dans le contrat de performance et l’acteur évalué qui pense que l’évaluateur s’écarte des critères contractuels, peut s’y opposer. Ils sont libres mais à condition de bien lire le contrat et de s’assurer que l’évaluateur ne respecte que les règles qui sont prescrites dans le contrat. Après tout, nous sommes tous des hommes et chacun a sa façon de penser. On ne pourrait pas imaginer que toutes les équipes d’évaluation penseraient de la même façon mais l’essentiel c’est que toutes ces équipes ne s’écartent pas du manuel de procédures P.B.F et puis du contrat de performance. C’est d’ailleurs pour cela que les équipes varient d’un trimestre à l’autre, donc une équipe ne doit pas s’éterniser dans une région et nous pensons que ces changements apportent forcément de l’expérience, quand vous avez appris des choses à l’Est pendant des évaluations, vous pouvez dupliquer ces expériences dans d’autres régions et nous pensons plutôt que cette façon de faire et d’alterner les évaluations est plutôt une bonne chose pour les évaluations à condition que tout le monde veille à ce que les termes du contrat qui sont basés sur le manuel de procédure standard du P.B.F soient respectés.

Monsieur Henoch, certains programmes ont souvent pratiqué les jeux de clignotants au Cameroun. Avez-vous l’impression que le PBF sera suffisamment enraciné dans l’administration ?

Disons que c’est l’objectif de tous les régulateurs du système de santé, en commençant par le Ministère de la Santé et la CTN – PBF. Plutôt que comme certains programmes qui clignotent comme vous le dites, notre objectif à travers le PBF est de faire de ce programme, un programme pérenne à travers l’acquisition de toutes les meilleures pratiques PBF par l’administration publique et de faire en sorte que ça ne soit pas un programme clignotant comme les autres mais qu’on s’inscrive plutôt dans la durée et que tous les acquis soient repris du côté du Ministère de la Santé, pour qu’après même le financement de la banque qu’on puisse continuer à mener les activités sous PBF. C’est d’ailleurs pourquoi depuis quelques années le Ministère de la
Santé s’implique dans le financement donc désormais ce n’est plus une histoire d’un programme financé par un bailleur mais c’est une affaire du gouvernement à travers l’implication progressive et puis considérable du ministère de la santé à travers le financement dans son budget annuel.

Le PBF est arrivé au Cameroun par le Ministère de la santé. Quelles manœuvres administratives l’Etat compte pratiquer pour transférer les compétences à d’autres administrations pour expérimenter le système sans éclats de voix ?

Je ne sais pas si je suis la bonne personne pour répondre à cette question, mais je pense que nous avons l’accompagnement du MINEPAT et du MINFI qui adhèrent de plus en plus au principe du PBF et nous savons tous que ces instances sont en charge de la définition des politiques de santé au Cameroun et de la convergence des différentes administrations. Mais à notre niveau, je peux vous dire que nous avons souvent reçu des ministères partenaires qui viennent à la CTN pour savoir davantage, parce qu’ils ont appris que le PBF apporte beaucoup de choses dans le système de santé et ils viennent pour le partage d’expériences et ils essayent à leur niveau également de mettre toutes les structures sous performance. Le secteur de l’éducation par exemple je crois a déjà mis en place une Cellule Technique Nationale de financement basé sur la performance et récemment nous avons reçu des cadres venant du Ministère des Marchés Publics qui voudraient mettre également le système des marchés publics sous performance. Nous pensons que tout ceci déjà c’est de bonnes pratiques, l’effet de contagion pourrait arriver et sous l’impulsion des administrations comme le MINEPAT et le MINFI, on pourrait rêver d’avoir toutes les structures administratives sous performance comme son nom l’indique. Ça ne pourrait qu’être une bonne chose. Pourquoi pas dans un contexte de décentralisation mettre toutes les communes sous performance et penser à une approche qui serait assez innovante, de financement des collectivités territoriales décentralisées ? Et voilà que le Ministère de la Santé Publique pourrait peut-être servir de pionnier à travers ce système de financement basé sur la performance.

Au moment où vous quittez la Région de l’Ouest, quel est l’état de rapport entre l’autorité locale et les responsables de l’ACV-OUEST et avez-vous un message à porter aux populations ?

Merci pour cette question. Les relations entre les autorités locales et l’ACV–Ouest, je pense que comme dans tout système qui bouge, les choses bougent à l’Ouest et puis on observe des mouvements entre les différents acteurs de la région, tous ceux qui sont en charge d’assurer la bonne mise en œuvre du financement basé sur la performance et comme je dis toujours quand les choses bougent quelque part, ça veut dire qu’il y a quelque chose d’intéressant là-bas. Ça veut dire que le PBF est en vie à notre sens dans la Région de l’Ouest et tout ce que nous souhaitons c’est que tous ces acteurs se mettent à travailler vraiment ensemble pour le bien de la population. Disons nous toujours que nous sommes au service de la population, les hommes passent les institutions restent. Les institutions doivent travailler ensemble et faire profil bas sur les problèmes de personnes, s’intéresser aux institutions et surtout travailler pour le bien des populations à la base, c’est pour ça que nous sommes là, c’est pour ça que tous les autres acteurs engagés dans le PBF doivent travailler. Maintenant quel message à porter aux populations ? Sans doute un message d’espoir, nous sommes dans un contexte où nous apprêtons le terrain pour la couverture santé universelle et on a un engagement fort de notre Ministre de la Santé Publique, à passer à échelle non seulement le PBF mais aussi aménager le terrain pour la couverture santé universelle effective. Il y a beaucoup de choses qui sont en train d’être faites dans notre système de santé et nous pensons que celui-ci va s’améliorer.

Monsieur Henoch, y’a-t-il une question que vous auriez souhaité que l’on vous posa et que je n’eusse pas l’honneur ?

Je pense que vous avez posé assez de questions, je crois que vous avez pensé à tout, je dois peut être simplement vous remercier pour toutes ces questions posées et vous souhaiter bon vent dans vos activités au combien importantes que vous menez en terme de communication pour la mise en œuvre du financement basé sur la performance dans la région de l’Ouest.

Monsieur FOUAPON HENOCH, merci de nous avoir accordé votre disponibilité !

Entretien réalisé par Sébastien ESSOMBA

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