DANS L'ACTUdernier minutesPOLITIQUEUNE

Présidentielle 2025 : Le Grand-Nord à la croisée des chemins

À quelques mois de la présidentielle de 2025, les lignes bougent dans le paysage politique camerounais. Issa Tchiroma Bakary quitte le gouvernement pour se lancer dans la course, tandis que Bello Bouba Maigari pourrait lui emboîter le pas. Deux figures du Grand-Nord qui rompent avec le régime de Yaoundé, mais dont les candidatures séparées pourraient paradoxalement renforcer le pouvoir en place. Entre volonté de rupture et risque de division, le Grand-Nord est à la croisée des chemins.

Alors que l’échéance électorale cruciale de 2025 approche, le paysage politique camerounais se recompose lentement, mais profondément. Dans un pays habitué à la stabilité figée, les signaux de rupture deviennent de plus en plus visibles. Le départ fracassant d’Issa Tchiroma Bakary du gouvernement, suivi de l’annonce d’un congrès décisif pour l’UNDP de Bello Bouba Maigari, annonce un séisme politique venu du Grand-Nord. Deux figures historiques du régime, longtemps perçues comme des piliers de la stabilité au sein de la coalition informelle qui soutient Paul Biya, semblent prêtes à changer de cap. Mais à qui profitera ce retournement ? Le vent du changement souffle-t-il réellement ou s’agit-il d’une ruse de plus du maître de Yaoundé ?

LE GRAND-NORD : ENTRE LOYAUTÉ HISTORIQUE ET ASPIRATIONS NOUVELLES

Le Grand-Nord a toujours occupé une place stratégique dans l’équilibre politique du Cameroun. Depuis les premières heures du régime Biya, cette région a fourni un appui précieux, en échange d’une représentativité ministérielle stable, d’un pacte non écrit de non-agression politique et d’un partage symbolique du pouvoir. Ce compromis tacite a survécu à toutes les tempêtes, y compris les plus fortes tensions post-électorales. Même si ces derniers temps, d’aucuns ont évoqué la duperie.

Mais 2025 ne ressemble à aucune autre échéance. La fatigue d’un régime quadragénaire, l’impasse de la succession, l’essoufflement économique, l’exaspération d’une jeunesse sans avenir, et l’éveil citoyen de la diaspora, redessinent les lignes de fracture. Le Grand-Nord, longtemps perçu comme un bastion docile, veut désormais peser autrement.

TCHIROMA, BELLO BOUBA : RUPTURE OU MANŒUVRE ?

En annonçant sa candidature, Issa Tchiroma Bakary, homme politique au verbe tranchant et aux fidélités souvent énigmatiques, jette un pavé dans la mare. Qu’un ancien ministre en fonction ose se déclarer candidat dans un système aussi verrouillé qu’autocratique, cela en dit long sur l’évolution du rapport de force. Bello Bouba Maigari, autre figure tutélaire du Nord et président de l’UNDP depuis plus de trois décennies, s’apprête à bouger à son tour. S’il confirme sa démission et, potentiellement, sa candidature, ce sera un tournant sans précédent.

Mais prudence. Dans le système Biya, rien n’est jamais tout à fait ce qu’il semble être. Certains analystes y voient une stratégie machiavélique orchestrée par le palais d’Etoudi : multiplier les candidatures « satellites » issues du Nord pour diluer l’électorat septentrional, éviter l’émergence d’un bloc régional homogène, et ainsi assurer une victoire confortable au candidat du RDPC, quel qu’il soit. Car si Tchiroma et Bello Bouba se lancent séparément, sans alliance ni vision commune, ils risquent de capter chacun une part minoritaire des voix du Grand-Nord, laissant le champ libre au candidat du pouvoir pour rafler la mise grâce à une division soigneusement entretenue.

LE PIÈGE DU MORCELLEMENT POLITIQUE

La présidentielle de 2025 ne se jouera pas uniquement à Yaoundé ou Douala. Elle se jouera dans la capacité de régions comme le Grand-Nord à s’organiser, à parler d’une seule voix et à incarner une alternative crédible. Si les candidatures issues de cette région se multiplient sans projet politique commun, elles renforceront mécaniquement le statu quo.

Le véritable défi pour Tchiroma, Bello Bouba et tous ceux qui aspirent à un changement réel n’est pas seulement d’annoncer une candidature, mais de fédérer les forces éparpillées. De dépasser les logiques d’ego ou de revanche, pour poser les bases d’un programme cohérent et rassembleur, porté par une équipe renouvelée, incarnant les valeurs de justice, de probité et d’équité. À défaut, le régime Biya, maître du jeu diviser-pour-régner, n’aura même pas besoin de tricher pour gagner.

2025 : UNE DERNIÈRE CHANCE POUR L’ALTERNANCE DÉMOCRATIQUE ?

Le Cameroun est à un carrefour de son histoire. Le cycle de confiscation du pouvoir touche à sa limite naturelle. Mais le changement ne se décrète pas, il se prépare, se pense, s’organise. Le Grand-Nord, longtemps rangé du côté du pouvoir, dispose aujourd’hui d’une opportunité historique, celle de se positionner non comme une force d’appoint, mais comme un moteur de la refondation nationale. À condition d’éviter les pièges de la fragmentation et des jeux de dupes. Car dans une présidentielle aussi cruciale, chaque geste compte. La moindre erreur stratégique pourrait prolonger l’impasse pour une autre décennie.

Le Grand-Nord peut peser lourd en 2025. Il peut même être le pivot d’un changement pacifique et démocratique. Mais cela exige courage politique, unité stratégique, et vision à long terme. Le temps des hommes providentiels est révolu. Place aux projets collectifs, aux coalitions solides, et à une vraie offre politique. Sans cela, l’histoire risque de se répéter, encore une fois.

Houzerou NGOUPAYOU

Share:

Leave a reply

Résoudre : *
9 ⁄ 3 =