Monnaie et développement de l’Afrique : entre dépendance monétaire et quête de souveraineté


Alors que les nations africaines s’interrogent sur leur trajectoire économique, la question monétaire reste étrangement absente du débat public. Pourtant, sans souveraineté monétaire, aucun développement autonome n’est possible. Entre dépendance au franc CFA, échec des projets de monnaie unique, et absence de vision commune, le continent est à la croisée des chemins. L’heure est venue d’affronter cette réalité. Sans monnaie au service de ses ambitions, l’Afrique continuera de courir après son propre destin.
Paradoxe africain : richesse des sols, pauvreté des peuples. Voilà une formule qui revient comme un refrain amer dès qu’il est question de développement en Afrique. Et au cœur de cette dissonance, un élément clé souvent éclipsé du débat public : la monnaie. Bien plus qu’un simple instrument d’échange, la monnaie est une institution politique, un levier de souveraineté et un outil de projection économique. En Afrique, elle reste l’un des talons d’Achille d’un développement autonome et durable.
LE LEGS MONÉTAIRE COLONIAL : LE FRANC CFA, ENTRE STABILITÉ ET SERVITUDE
Dans 14 pays africains, la monnaie n’est toujours pas pleinement nationale. Le franc CFA, créé en 1945, aujourd’hui divisé entre les zones UEMOA (Afrique de l’Ouest) et CEMAC (Afrique centrale), incarne la continuité de la domination économique française. Indexé à l’euro et garanti par le Trésor français, il promet stabilité monétaire et faible inflation, des conditions a priori favorables au commerce.
Mais cette façade cache une réalité plus dérangeante. Les pays utilisateurs du CFA n’ont aucune marge de manœuvre en matière de politique monétaire. Ils ne peuvent ni dévaluer librement leur monnaie, ni ajuster les taux d’intérêt en fonction de leurs priorités de développement. Pis encore, une partie de leurs réserves est déposée au Trésor français. Le symbole est fort. Des États indépendants dont la politique monétaire reste sous tutelle.
LA SOUVERAINETÉ MONÉTAIRE, CONDITION DU DÉVELOPPEMENT ?
Les économies émergentes qui ont réussi leur décollage, de la Chine au Brésil en passant par la Corée du Sud, ont toutes eu en commun un contrôle strict de leur monnaie, combiné à une politique industrielle ambitieuse. Elles ont pu financer massivement l’agriculture, l’éducation, les infrastructures, grâce à une banque centrale au service du développement national.
En Afrique, sans outil monétaire propre, il est difficile de jouer sur le levier du crédit pour stimuler l’économie réelle. Les petites et moyennes entreprises (PME), moteur potentiel d’un développement inclusif, peinent à accéder au financement. Quant aux États, ils empruntent à des taux prohibitifs sur les marchés internationaux, faute d’un marché intérieur dynamique.
CHANGER DE PARADIGME : VERS UNE MONNAIE AFRICAINE ?
Face à ce constat, l’idée d’une monnaie unique africaine, ou au moins sous-régionale, débarrassée de l’influence néocoloniale, refait surface. Le projet de l’ECO en Afrique de l’Ouest, censé remplacer le franc CFA, est emblématique de cette volonté. Mais il piétine, faute de consensus entre pays francophones et anglophones, et en raison de contraintes macroéconomiques (déficits, taux d’inflation, niveaux de croissance très inégaux).
Le défi n’est pas seulement technique. Il est politique. Créer une monnaie commune, ou même simplement nationale et indépendante, suppose une vision partagée du développement, une gouvernance monétaire crédible, et surtout, une volonté d’émancipation réelle. Or, dans plusieurs États africains, la classe dirigeante est encore prisonnière des logiques de rente et de dépendance.
QUEL AVENIR MONÉTAIRE POUR L’AFRIQUE ?
L’enjeu monétaire est donc loin d’être marginal. Il est central pour refonder un modèle de développement souverain. L’Afrique doit faire le choix, courageux mais vital, d’une monnaie au service de son peuple, de ses priorités, de ses rêves. Cela ne signifie pas rompre avec l’extérieur, mais entrer dans le commerce mondial avec une monnaie choisie, pas subie.
L’indépendance politique sans souveraineté monétaire est un mirage. Si l’Afrique veut transformer ses ressources en richesses pour tous, elle devra tôt ou tard forger ses propres instruments économiques, et cela commence par une réflexion lucide et ambitieuse sur sa monnaie.
Houzerou NGOUPAYOU