Le journalisme à l’épreuve des lanceurs d’alerte : quand la vérité devient un champ de bataille

À l’heure où les réseaux sociaux redessinent le paysage médiatique, le journalisme camerounais se trouve confronté à un défi inédit : celui des “lanceurs d’alerte” autoproclamés. Entre vérité et manipulation, information et désinformation, la frontière devient de plus en plus floue, au risque de fragiliser la démocratie et d’enflammer la rue.
Depuis quelques années, une nouvelle catégorie d’acteurs s’est imposée dans le débat public camerounais : les “lanceurs d’alerte”. Autoproclamés gardiens de la vérité ou pourfendeurs des injustices, ils disposent d’une influence redoutable sur les réseaux sociaux. Leurs publications, souvent dénuées de vérification, deviennent virales en quelques heures, façonnant l’opinion publique, attisant les passions et déstabilisant parfois l’ordre social.
La campagne présidentielle de 2025 en a été une illustration criante. Des rumeurs, des vidéos truquées, des “informations exclusives” sans fondement ont circulé à une vitesse vertigineuse. Des villes comme Bafoussam ou Douala ont frôlé le chaos ce mercredi, parce qu’un simple message d’un lanceur d’alerte, posté sur sa page, reprenant des affirmations non vérifiées, a suffi à déclencher des mouvements de foule. Pendant ce temps, certains médias traditionnels, oubliant leur devoir premier, celui du fact-checking, de la vérification rigoureuse des faits, se sont faits le relais de ces intox, amplifiant la confusion au lieu de l’éclaircir.
Le métier de journaliste traverse ainsi une zone de turbulence. Jadis détenteur du monopole de la vérité publique, le journaliste doit désormais composer avec une armée de “communicants” sans éthique, mus souvent par des intérêts politiques ou mercantiles. Le danger est profond, lorsque tout le monde prétend dire la vérité, plus personne ne sait à qui se fier.
Pourtant, le rôle du journalisme n’a jamais été aussi crucial. Face à la prolifération des fausses nouvelles, il devient le dernier rempart de la raison et de la démocratie. Le journaliste, le vrai, ne se contente pas de rapporter. Il vérifie, recoupe, confronte, contextualise. Il protège la société du mensonge, non pas par la rapidité, mais par la rigueur.
Le Cameroun a besoin de reconstruire une culture médiatique responsable. Les écoles de journalisme doivent remettre au centre de la formation les valeurs cardinales de la profession : l’éthique, la vérification, la neutralité et le courage intellectuel. De même, les pouvoirs publics et les institutions de régulation doivent s’adapter à cette ère numérique où un “post” peut désormais peser plus qu’un communiqué officiel.
La vérité, aujourd’hui, se défend comme un bien commun. Et si le journalisme veut retrouver sa noblesse, il devra affronter les dérives des lanceurs d’alerte non pas par la censure, mais par la compétence, la rigueur et la transparence. La bataille de l’opinion se gagne désormais sur le terrain de la crédibilité. À chacun, journaliste ou citoyen, d’en mesurer la responsabilité.
Houzerou NGOUPAYOU