Imam Ahmad Jounedou Essalik Nourouddine Sine: “Nous devons réapprendre à sacrifier l’intérêt égoïste pour l’intérêt général”
Le révérend Imam principal de la mosquée centrale numéro 2 de Bafoussam et président du conseil des imams et dignitaires musulmans du Cameroun (CIDIMUC) pour la Mifi s’exprimait ce dimanche, 11 août 2019, à la faveur de l’Eid al-Kabir à l’esplanade de la place des fêtes de Bafoussam. En intégralité le sermon de circonstance.
“Allah Akbar, Allah est Grand. Allah Akbar, Allah est infiniment Grand !
La joie qui anime les musulmans aujourd’hui n’a d’égal que l’amour qu’Ils ont pour Allah dans la quête de Son agrément. En ce jour, les visages sont rayonnants et, la mention du nom d’Allah embaume les assemblées de prière. Le fidèle murmure sa supplication à Son Créateur, et espère compter parmi ceux que la piété élèvera parce qu’ils auront obéi à Allah. Allah Akbar.
Toutes les louanges sont à Allah qui nous a ramené ce jour plein de bénédictions. J’atteste qu’il n’y a de divinité digne d’adoration en dehors de Lui. J’atteste que notre maître Mohammad est Son serviteur et Messager. Que la prière et le salut soient sur lui, ainsi que sa famille et ses compagnons, sans oublier leurs suivants dans la bienfaisance.
Chers frères et sœurs dans la foi ! En ce jour de fête de sacrifice, jour de Grand pèlerinage pour ceux qui sont sur les terres saintes à la Mecque, je vous recommande la piété sans omettre ma propre personne. Alors que les pèlerins ont entamé très tôt ce matin l’étape décisive des rites du pèlerinage, pour rimer en phase avec eux, nous avons débuté notre journée par la prière de l’aube. Ensuite, nous avons pris notre bain, et avons arboré nos plus beaux vêtements et utilisé le parfum le plus doux.
Nous avons ainsi mis en application l’une des recommandations prophétiques liée à l’observance de la salubrité spirituelle et corporelle lors des fêtes. Par la suite, nous avons pris d’assaut cette place, scandant et proclamant la grandeur d’Allah, pour nous acquitter de la prière et écouter les directives que l’imam va nous donner dans son sermon. Après le sermon, nous retournerons dans nos différents domiciles, non sans avoir changé d’itinéraire, pour sacrifier à cette tradition prophétique qui veut que le jour de la fête, la voie empruntée à l’aller, ne soit pas la même qu’au retour. Ces deux voies et les anges qui y sont témoigneront en notre faveur le jour de la résurrection. Si nous croisons les démunis en rentrant, ne manquons pas de leur faire des aumônes. Ce sera la cerise sur le gâteau.
Une fois à la maison, interviendra l’instant fatidique de la journée, à savoir, le sacrifice. Le sacrifice en soi est un acte Sunna, il n’est pas obligatoire. Un seul mouton suffit pour un chef de famille et ceux qui sont sous sa charge. Cette bête doit être exempte de tout défaut susceptible d’amoindrir sa chair ou d’entamer sa morphologie. En termes de qualité, elle ne doit pas être bas de gamme.
Le Prophète (pbsl) a interdit l’immolation de quatre types de bêtes : « Celle qui boite clairement, celle qui est manifestement borgne, celle dont la maladie est évidente et celle qui traîne une débilité qui la rend indésirable. »
Chers frères et sœurs dans la foi, le sacrifice va au-delà du simple mouton et sa chair. Il est un acte de dévotion, une bienfaisance à la famille, aux proches, aux voisins et aux pauvres. Il est aussi un rappel aux doués d’intelligence. C’est pour cela qu’il revêt plusieurs finalités.
L’une de ces finalités est la mention abondante du nom d’Allah qui est l’esprit de tous les actes et le moteur des cultes de dévotion et des relations humaines. Elle est incontournable dans tous les faits et gestes de l’homme parce qu’elle est la source de sa quiétude et sa sérénité. Elle tient lieu d’oxygène pour nos âmes. « Les cœurs s’apaisent grâce à la mention du nom d’Allah. » On ne doit pas perdre de vue, en sacrifiant la bête, que l’une des finalités du sacrifice, c’est d’évoquer le nom d’Allah abondamment. « Et qu’ils rappellent le nom d’Allah, pendant quelques jours bien connus, sur la bête de cheptel qu’Il leur a attribuée en nourriture. »
L’autre finalité est le sens du sacrifice même. Une façon de se remémorer et commémorer Ibrahim, sur lui la paix, le père du monothéisme, lorsque, répondant à une injonction divine, il voulut immoler son fils Ismâ’il. Cet acte sacrificiel nous rappelle que ce monde a besoin de sacrifice. L’éducation des enfants ne peut se faire sans sacrifice des parents et des enseignants, l’économie ne peut être forte qu’avec le sacrifice des hommes d’affaires et tous les acteurs sociaux, la santé des citoyens ne peut être garantie qu’avec le sacrifice des médecins et des infirmiers, le pays ne peut être stable sans le sacrifice des forces de défense et de sécurité. Pour construire la paix, chacun doit apporter son soupçon de sacrifice. Surtout, nous devons réapprendre à sacrifier l’intérêt purement personnel et égoïste pour l’intérêt général.
La dernière finalité du sacrifice est l’accomplissement d’un des rites de l’islam et l’un de ses emblèmes saillants dont Allah a ordonné la vénération et interdit la violation. L’islam connaît plusieurs types d’emblèmes. Certains sont liés au temps, tels que le Ramadan et les deux fêtes, d’autres sont liés au lieu tel que la Mecque, Médine, Jérusalem et toutes les mosquées. Les emblèmes peuvent être des actes tels que la prière en congrégation et l’immolation de la bête de sacrifice : « Et quiconque exalte les emblèmes d’Allah, oui, c’est en effet de la piété des cœurs. »
Chers frères et sœurs dans la foi !
Le sacrifice est aussi un moment de partage. Le partage commence dans la maison pour englober les proches, les voisins et les amis. Il est recommandé de les associer à la fête, et surtout, ces démunis et pauvres qui chaque jour, sont immolés par les couteaux de la famine et de l’indigence. Cette fête doit être placée sous le signe, non seulement du partage, mais aussi de la bienfaisance et de la générosité. Surtout, par ces temps des préparatifs de la rentrée scolaire où nous sommes coincés entre le marteau du mouton et l’enclume de la scolarité des enfants.
Après l’immolation de la bête, fêtons, mais avec modération, et surtout sans oublier l’essentiel qui meuble cette fête. A savoir, la mention du nom d’Allah. La Sunna veut que cette fête s’étende sur trois jours appelés les jours de Tachrîq. Ce sont les jours durant lesquels il nous est expressément demandé de boire, de manger, et d’évoquer Allah.
Chers frères et sœurs dans la foi !
Comment fêter, comment manger, comment boire, comment mentionner le nom d’Allah, quand nous savons que dans certaines zones de notre pays, certains de nos concitoyens ne savent même pas qu’aujourd’hui est jour de fête ? A l’extrême nord, certains de nos compatriotes vont fêter avec la peur dans le ventre ; la peur d’être attaqués à tout moment par Boko haram. Au nord-ouest et au sud-ouest, les populations ont fui les combats pour se réfugier dans des forêts, abandonnés à eux-mêmes et exposés à tous les dangers. Comment se réjouir pleinement et déguster les bons mets à base de mouton bien assaisonné, arrosés de jus bien glacé, quand des foyers qui accueillent nos frères ici dans notre ville suffoquent sous le nombre sans cesse croissant de ceux qui arrivent fuyant la guerre ? Ayons une pensée pour ceux-là, posons des actes concrets pour leur venir en aide, surtout avec la rentrée qui s’annonce. Prions pour le retour de la paix dans ces zones en conflit et partout dans le Cameroun. Pour que la fête ait tout son sens, tout le monde doit être en fête. Il ne s’agit pas de la fête des musulmans, mais de la fête de tout un pays. Car, si tu ne fêtes pas parce que tu n’es pas musulman, tu dois fêter parce que ton frère camerounais musulman fête. C’est cela le vivre ensemble que cette fête est censée renforcer.
Serviteurs d’Allah, au moment où nous commémorons l’acte de dévotion de Ibrahim (AS), nous sommes entrain de vivre les derniers instants des vacances et, nos enfants, élèves et étudiants se préparent à entamer une nouvelle année scolaire. C’est le lieu de rappeler que l’Islam a honoré la science et les savants, car la science est le fondement de tout progrès civilisationnel comme elle est la cause du bonheur d’ici bas et dans l’au-delà.
A l’orée de cette rentrée scolaire, il est important de revenir un tant soit peu sur la responsabilité des parents, des enseignants et de tous les maillons qui constituent la chaine de transmission des connaissances et d’éducation à nos enfants.
Chers enseignants vous êtes dépositaires d’une des missions prophétiques qui est celle d’enseigner et d’éduquer. Le prophète (PSBL) dit en effet : « Je n’ai été envoyé que comme enseignant ». Que la logique mercantile n’ait donc pas raison de vous, au point de primer et supprimer votre vocation. Il vous revient de transmettre le savoir avec sincérité et conscience professionnelle car les jeunes qui vous sont confiés sont un dépôt et une lourde responsabilité envers Allah et la société.
A tous les parents et tuteurs des jeunes et des élèves, prenez soin de vos enfants et soignez leur éducation. Le prophète (PSBL) dit : « Chacun de vous est berger et chacun de vous est responsable de son troupeau ». L’éducation que vous donnez à vos enfants est la pierre de touche de votre responsabilité envers ces derniers. Votre responsabilité ne se réduit pas à l’achat des fournitures et des manuels. Soyez attentifs à l’apprentissage de vos enfants, accompagnez-les dans leur parcours, apprenez-leur l’éthique convenable avant le savoir. Il est des parents qui ont jeté aux orties leur devoir de suivi quotidien de leurs enfants. Ces derniers, abandonnés à euxmêmes, déboussolés et en perte de repères, sont livrés en pâture à l’éducation des réseaux sociaux et les travers de ce monde de mondialisation immonde.
Chers frères et sœurs dans la foi, nous devons nous mettre vent debout contre la sous-scolarisation de la fille. Leur sous-scolarisation d’aujourd’hui constitue le ferment dans lequel vont fleurir l’inculture et l’ignorance de demain.
La femme en Islam est la fille, la sœur, la mère. Et le poète Ahmad Chawki disait : la mère est une école. Si tu l’éduques bien, tu prépares une nation fondée sur de bonnes bases
Prière
Ô Allah ! En ce jour sacré, jour de la fête du sacrifice, nous sommes rassemblés pour Te louer et exalter Ta grandeur, et manifester notre reconnaissance pour les bienfaits que Tu nous accordes sans cesse. Accepte notre prière, accepte notre sacrifice, absous nos péchés et agrée-nous. Apaise nos cœurs, raffermis notre foi, accorde-nous belle part ici-bas et belle part dans l’au-delà, Tu es le Miséricordieux par excellence.
Ô Allah ! Notre pays traverse un moment de crise. S’il s’agit d’une épreuve, donne-nous le courage de la traverser sans dégâts. Si c’est une punition, allège-là. Ramène la paix dans les zones instables de notre pays, à l’extrême nord, au nord-ouest et au sud-ouest. Maintiens la paix dans les zones stables.
Ô Allah ! Les milliers de pèlerins sont Tes hôtes, ils ont répondu à Ton appel, de toutes les races, de toutes les couleurs, de toutes les nationalités. Fais en sorte qu’ils s’acquittent de tous les rites. Agrée-les et raccompagne-les dans leurs différents pays, sains et saufs.
Ô Allah ! Nos enfants reprendront le chemin de l’école dans quelques jours. Viens nous en aide afin qu’aucun enfant ne reste à la maison pour manque de moyens. Apaise les cœurs de nos concitoyens du nord-ouest et du sud-ouest afin que l’avenir des enfants dans ces deux régions ne soit pas hypothéqué.
Accepte nos supplications, car Tu nous entends et sais mieux que nous les intentions que nous travaillons dans nos cœurs. Prie sur notre Prophète Mohammad, ainsi que sa famille et ses compagnons”.
Bafoussam le 11 août 2019