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Cameroun : l’opposition des apparences ou la tragédie d’un peuple trahi

Au Cameroun, l’histoire politique récente se raconte désormais à l’envers. L’absurde y flirte avec l’indignation, et l’imposture politique devient norme. Comment comprendre que ceux-là mêmes qui ont été les artisans de la confiscation démocratique soient aujourd’hui les porte-étendards autoproclamés du renouveau politique ? Le cas de Maurice Kamto et Albert Dzongang, ex-bastions du régime qu’ils prétendent aujourd’hui combattre, mérite qu’on s’y attarde non pas par animosité, mais par devoir de mémoire et de lucidité.

Sur les ondes d’une radio locale, Albert Dzongang, dans un étonnant moment de franchise cynique, s’est tagué d’avoir été le cerveau de la sale besogne contre l’opposition en 1992. Il le dit sans honte, presque avec fierté : Ni John Fru Ndi avait gagné, mais le stratagème qu’il a orchestré a permis à Paul Biya de conserver le pouvoir. Un aveu glaçant. Non content d’avoir été un rouage zélé du RDPC pendant des décennies d’où il a tiré fortune et position, voilà qu’il se découvre aujourd’hui une conscience d’opposant. Mais qu’a-t-il à offrir au peuple sinon les restes d’un opportunisme recyclé ?

Son compagnon de route, Maurice Kamto, n’est pas en reste. En 2004, alors que l’opposition contestait une élection encore entachée de soupçons, le juriste éminent qu’il était (et reste) s’est permis de congédier les revendications populaires d’un revers doctrinaire : « La décision de la Cour suprême, agissant en lieu et place du Conseil constitutionnel, est un dogme ». Autrement dit, le peuple n’a pas voix au chapitre. Quatorze ans plus tard, le même homme, transfiguré par une ambition politique tardive, crie au “hold-up électoral” en 2018, reprenant les mêmes arguments que ceux qu’il avait jadis tournés en dérision. Faut-il y voir une conversion sincère ou simplement une stratégie de repositionnement ?

Cette danse macabre des repentis sélectifs du régime pose une question de fond : peut-on prétendre incarner le changement quand on est soi-même l’enfant légitime d’un système qu’on a longuement nourrit ? Peut-on se draper de l’étoffe du révolutionnaire quand les actes posés et les alliances tissées laissent penser que l’on joue encore la partition d’un pouvoir que l’on feint de combattre ?

Le peuple camerounais, meurtri, assoiffé de changement, se retrouve face à une illusion d’alternative. Des figures patinées par le système qui, à force d’avoir trop vu, trop pactisé, n’ont plus la force morale d’incarner une rupture véritable. Dans un pays normal, un Albert Dzongang aurait quitté la scène publique avec discrétion après de tels aveux. Un Maurice Kamto aurait eu l’élégance de la retenue, ou au moins celle de l’autocritique. Mais le Cameroun est ce pays étrange où tout se justifie, tout s’oublie, tout se recycle.

En vérité, ces hommes ne sont pas les fossoyeurs du régime, mais ses relais déguisés, les prolongements d’un système qui se maintient en mutation permanente. Ils participent à ce que l’on pourrait appeler la domestication de l’opposition ; faire mine de contester, tout en consolidant de fait l’architecture du pouvoir existant. L’opposition réelle, celle qui bouscule les codes et propose une vision nouvelle, est étouffée, marginalisée, ou accusée d’être des “collabos”.

Dans ce théâtre d’ombres, le véritable enjeu n’est pas de remplacer Paul Biya par un autre visage, mais de changer de paradigme. De sortir de cette boucle perverse où les anciens bourreaux se déguisent en sauveurs. Il est temps que le peuple camerounais cesse d’être prisonnier de ses émotions, et commence à lire la météo politique avec lucidité. Le changement ne peut venir de ceux qui ont méthodiquement œuvré à l’étouffer.

Il faut avoir le courage de nommer les impostures, même quand elles se drapent des couleurs de l’opposition. La reconstruction du Cameroun passe par une rupture franche avec les visages, les pratiques, les discours d’hier. Le pays a besoin d’une nouvelle génération de leaders, incontestablement désintéressés, porteurs d’éthique, de vision, et de vérité. À défaut, l’alternance ne sera qu’un simulacre. Une pièce de théâtre où les acteurs changent, mais où le scénario tragique reste le même.

Houzerou NGOUPAYOU

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