Fespaco: Le cinéaste rwandais Joël Karekezi décroche l’Etalon d’or de Yennenga
Le jeune cinéaste rwandais Joël Karekezi a remporté la distinction suprême, l’Étalon d’or de Yennenga, pour son film « The Mercy of the Jungle ».
Le pays invité d’honneur du Fespaco, le Rwanda, a décroché le gros lot lors du palmarès du plus grand festival du cinéma africain. En présence des présidents du Burkina Faso, du Rwanda et du Mali, le jeune cinéaste Joël Karekezi a remporté la distinction suprême, l’Etalon d’or de Yennenga, pour son film The Mercy of the Jungle. Son acteur principal, Marc Zinga, a gagné le prix de la meilleure interprétation masculine. Le prix de la meilleure actrice a été décerné à Samantha Mugotsia, de Rafiki, une histoire d’amour entre deux femmes, censurée lors de la sortie du film dans son pays d’origine, le Kenya.
« Le message du film est simple : notre Afrique est belle. On doit continuer à se développer et vivre en paix. » Visiblement ému et surpris d’obtenir la plus haute distinction du cinéma africain, Joël Karekezi a dédié la « Palme d’or » africaine à la cause panafricaine et à la jeune génération de cinéastes africains. A 33 ans, il est désormais le premier Rwandais à entrer dans l’Olympe cinématographique des lauréats du Fespaco : « Ce prix est une grande chose, pas seulement pour moi, mais pour toute ma génération. Cela prouve qu’on est capable de raconter nos histoires et de faire du cinéma. »
« Travailler dans la jungle »
The Mercy of the Jungle raconte l’histoire d’un combat à la fois intérieur et extérieur, mené par le sergent Xavier, héros de guerre rwandais, et le jeune soldat Faustin. Quand ils se retrouvent en territoire ennemi, ils sont obligés d’affronter la jungle congolaise… « Travailler dans la jungle, c’était physique et psychique », témoigne le réalisateur. Un film émouvant et antimilitariste qui dénonce l’absurdité de la guerre avec des images fortes tout en évitant d’être spectaculaire.
Né en décembre 1985, Joël Karekezi fait partie de la génération des cinéastes rwandais pour qui le génocide a été un déclic pour faire des films. Son propre père a été tué pendant le génocide rwandais quand Joël avait 8 ans. Après des études de biologie-chimie-éducation, il est presque arrivé par hasard au cinéma. Une école de cinéma canadienne en ligne, CineCours, lui a ouvert les portes de l’univers cinématographique. Son premier court métrage Le Pardon portait sur la réconciliation après le massacre de 1994 contre les Tutsis. Le prix suprême du Fespaco lui inspire surtout l’envie de continuer son chemin de cinéaste : « Cela va me permettre de faire beaucoup de films. Et j’ai envie d’en faire beaucoup [rires] et de revenir ici au Fespaco ».
Un palmarès profondément engagé
Cinquante ans après sa création en 1969, le Fespaco a couronné un palmarès profondément engagé. Au-delà de l’Etalon d’or antimilitariste, l’Etalon d’argent a été attribué à Karma. Le long métrage du réalisateur égyptien Khaled Youssef avait fait des vagues dans son propre pays. Il raconte les relations tendues entre musulmans et chrétiens à l’image de l’histoire d’amour entre un jeune musulman et une chrétienne. Quelques jours avant sa sortie, le film a été interdit par les autorités avant d’obtenir finalement gain de cause. L’Etalon de bronze, Fatwa, du réalisateur tunisien Mahmoud Ben Mahmoud, s’attaque également à un sujet sensible, la dérive d’un jeune homme issu d’une bonne famille tunisienne intellectuelle qui sombre dans le milieu jihadiste.
« Rafiki » et les avant-gardes cinématographiques en Afrique
Avec la consécration de l’actrice Samantha Mugotsia pour son rôle de Rafiki, le Festival assume clairement son ambition de soutenir les avant-gardes cinématographiques qui opèrent en Afrique et dont le plus grand festival panafricain avait programmé une belle brochette parmi les 165 films projetés dans ses différentes catégories. L’édition cinquantenaire avait montré également une vraie ouverture vers l’Afrique non francophone, avec des longs métrages en swahili, more, portugais, et des images rares venues du Mozambique, du pays Dogon, du Soudan, du nord du Nigeria ou abordant des territoires jusqu’ici inexplorés comme l’autisme, les violences faites aux femmes dans des familles bourgeoises ou l’oppression de l’Etat exercée sur les marginaux de la société.
Le Fespaco et les cinéastes femmes
Reste à savoir quand le Fespaco décernera pour la première fois un Etalon d’or à une cinéaste femme. La cinéaste burkinabè Apolline Traoré avait fait salle comble avec son quatrième long métrage acclamé par le public, mais pour cette édition, elle a dû se contenter du prix spécial de l’Assemblée nationale et du prix du meilleur décor. En attendant, tout le monde avait compris son message : cinquante ans après sa création, le Fespaco devrait être prêt à ouvrir un nouveau chapitre.
Siegfried Forster / RFI