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Tribune libre : Jean de Dieu Momo tance les journalistes camerounais

Dans un Plaidoyer pour un journalisme de qualité, le Président National du Paddec soutient la thèse de l’acculturation des acteurs des médias au Cameroun.

« Le problème de beaucoup de journalistes au Cameroun c’est qu’ils ne lisent pas, ils sont très peu cultivés et ne font pas le travail quotidien de monitoring leur permettant d’avoir la lisibilité sur des sujets politiques », BORIS BERTOLT

L’on peut juger excessif ces propos du journaliste camerounais Boris Berthol, mais au regard de nombreuses dérives journalistiques pouvant alimenter la haine tribale, et ayant été témoin des ravages de la radio des mille collines sur le genocide rwandais, nous saisissons le prétexte de cette grave accusation pour interroger la pratique professionnelle au regard de l’abrutissement médiatique des populations par ceux là même qui étaient chargés de leur apporter l’information susceptible d’éclairer leur ignorance.

On assiste aujourd’hui dans notre pays, et aussi ailleurs malheureusement, à de pseudos professionnels du journalisme qui s’érigent en tireurs d’élites à la gâchette facile pour détruire des hommes publics, et parmi eux des journalistes-militants dont le but est de mobiliser politiquement les peuples contre les pouvoirs publics voire contre leur pays. Certains sont carrément des mercenaires de la plume ou du micro payés pour descendre des adversaires politiques ou abattre ceux qui ne pensent pas comme eux.

Les artisans des médias autant que leurs patrons ont beaucoup de difficultés à reconnaître leur part de responsabilité dans cette dangereuse escalade et surtout à engager des actions rigoureuses de redressement qui s’imposent au regard du décrochage citoyen qu’on remarque dans notre pays sur le plan de la démobilisation politique voire de l’ignorance des devoirs civiques.

Les dérapages déontologiques des membres du pouvoir médiatique sont une des plaies béantes de notre société. Il ne fait plus aucun doute que la déformation des faits, les raccourcis simplistes et sensationnalistes d’un trop grand nombre de journalistes et de commentateurs autant que les interprétations souvent sarcastiques ou tendancieuses et même parfois outrancières sinon carrément vulgaires contribuent largement à alimenter le cynisme ambiant face à la politique et à ses acteurs, tout en nourrissant la nouvelle culture de la politique spectacle et de l’information spectacle.

Le journaliste américain Walter LIPPMANN en arrivait au même constat déjà en 1921 quand il déclarait que « la crise actuelle de la démocratie occidentale est une crise du journalisme ». Qui peut d’ailleurs nier aujourd’hui que les médias sont organisés d’abord comme des objets de consommation plutôt que comme des instruments d’animation des débats démocratiques ? Qui peut nier que les médias divertissent plus qu’ils n’informent ? Qui peut nier que les nouvelles sont fréquemment présentées en pièces détachées sans la mise en contexte qui permet de comprendre le sens véritable des événements ? Qui peut nier que l’image prime la réflexion et que le but principal est en général d’étonner et de frapper l’imagination plus souvent et plus fort que la concurrence ? Qui peut nier que certains médias chez sont enclins au spectacle et à l’émotion primaire ? Qui peut nier encore que le journalisme d’enquête est sous-développé au Cameroun et que la course à l’exclusivité dérape fréquemment chez nous ? Qui peut soutenir que les recherches rigoureuses et sérieuses, dans le respect des personnes en cause, sont la préoccupation première des journalistes affectés à la scène politique autant que de leurs patrons ?

Il ne s’agit pas ici de faire le procès des médias ou à procéder à un règlement de comptes, mais de plaider pour plus de responsabilité dans l’exercice de l’art d’informer pour former le peuple. Et pour ce faire nous devons nous approprier les constats courageux de certains journalistes eux-mêmes, qui depuis un bon moment déjà et ce, dans le monde entier, appellent leurs collègues à un sursaut de conscience morale et dénoncent ce que le Canadien éditorialiste en chef du quotidien La Presse, André Pratte, a osé nommer la « culture de vautour » dans laquelle baignent les médias et leurs artisans. Selon ce dernier, « le journaliste d’aujourd’hui tombe trop souvent dans le filet sans risque du spectacle de l’insignifiance et lui sacrifie sa véritable mission, l’information et l’éducation. […] Le nombre et la puissance technologique des médias d’aujourd’hui font que, par la force des choses, tout ce dont ils s’emparent est grossi hors de proportion : les faits, les opinions, les erreurs, les responsabilités. Nous fabriquons des héros et les détruisons aussi vite. Nous trouvons des coupables et les lynchons sans attendre. En somme, nous stimulons puis agissons selon les passions populaires ». Précisant sa pensée, il indique que « […] Le ton strident des commentateurs déteint sur tous les pouvoirs publics. […] Le cynisme et l’intolérance qui rongent l’esprit populaire aujourd’hui sont-ils étrangers au déluge de critiques dont les médias emplissent pages et ondes ? […] Nous, les journalistes, déplorons fréquemment l’emprise de la langue de bois sur le discours politique. Nous nous arrêtons rarement au fait que les médias ont puissamment contribué à cette triste évolution ».

Mettre le doigt sur la responsabilité du « quatrième pouvoir » quant à la mauvaise presse dont la classe politique est l’objet, et surtout quant à la grande inconscience citoyenne et à la forte incompétence civique, n’a pas pour but de diminuer ou de nier la responsabilité des politiciens ni celle aussi des citoyens eux-mêmes. Il est question cependant de souligner que la vie démocratique est plus que jamais tributaire de l’éthique de ceux qui font le lien entre les citoyens et leurs représentants politiques. « L’information n’est pas un des aspects de la distraction moderne, elle ne constitue pas l’une des planètes de la galaxie du divertissement : c’est une discipline civique dont l’objectif est de construire des citoyens. »

(c) Momo jean de Dieu, Président du Paddec

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