Discours de haine et répression : Epée de Damoclès sur la tête des journalistes ?
Dans le souci de limiter la propagation des discours de haine et de xénophobie, le Cameroun s’est armé d’un armada des dispositions juridiques pour juguler ce mal sociétal. Des dispositions qui épousent la vision de la Ccmn, qui milite pour un journalisme de Paix.
GILBERT WILLY TIO BABENA, dans la Revue panafricaine de linguistique pour le développement, n’a pas attendu que sonne l’alerte général pour se saisir de la question. Il titrait déjà en son temps: Réflexions sur le discours haineux : la loi face à la praxis langagière. Ainsi, indiquait-il, les menaces à la paix et à la stabilité sont des présupposés consubstantiels de la notion de vivre ensemble. Le législatif, dans l’optique d’y faire face et d’assurer l’harmonie sociale, propose un ensemble d’instruments juridiques qui se résument pour l’essentiel à pénaliser le discours haineux dans le but d’éviter l’embrasement.
La logique pénale approche le problème sous l’angle de la sanction, mais s’appuie pourtant sur l’objet langagier dont la plasticité autorise des tours et détours en rendant difficile l’établissement des atteintes au vivre ensemble. L’objectif étant de questionner les contours du discours haineux dans l’optique de mettre en évidence les défis de la praxis langagière posés aux textes de droit. Il s’appuie sur des exemples puisés dans la sphère médiatique. Dans les pays constitués de plusieurs ethnies, les rivalités sociopolitiques renforcent la haine et accentuent du même coup la difficulté d’apprécier le discours outrageux prononcé sous cape d’une liberté d’expression. Au demeurant, la complexité des jeux de langage et des situations énonciatives devrait forcer le judiciaire à recourir à des expertises linguistiques, parmi tant d’autres, pour examiner les discours incriminés.
UN CANCER SOCIAL
La multiplicité d’ethnies, près de 300 au total, fait du Cameroun l’exemple type des pays où les rivalités sociopolitiques renforcent la haine et accentuent le discours outrageux prononcé sous cape d’une liberté d’expression. Des entrepreneurs politiques, au nom de la liberté d’expression, tiennent au quotidien des propos incendiaires et encouragent la division. Ces propos sont le plus souvent relayés par des journalistes en quête du sensationnel pour la plupart. Ce Vendredi, 27 mai 2022, des journalistes, appartenant à la Cameroon Community Media Network (Ccmn), antenne de l’Ouest, une vingtaine au total, se sont réunis à Bandja dans le département du Haut-Nkam, avec l’appui d’un partenaire au développement, Defyhatenow. Cette rencontre sous le thème : “Lutte contre les discours haineux et xénophobes: la contribution de la Presse”, visait entre autres à renforcer les connaissances des hommes et des femmes des médias membres de la Ccmn/ouest, afin qu’ils soient en même d’édifier efficacement les citoyens sur le danger des discours haineux et xénophobes.
Au cours de cet atelier, la situation du Cameroun a été revisitée. Avec notamment la montée en puissance des discours à caractère tribal et les violences verbales qui auraient pris une proportion inquiétante au lendemain de la présidentielle 2018 au Cameroun. On a désormais un vocabulaire qui sort de l’ordinaire, et qui frise parfois le ridicule. Les expressions telles que sardinard, tontinard, concours pour devenir Bulu, entre autres. Des stéréotypes et clichés inventés au cours des batailles politiques qui, malheureusement, vont se muer en rivalité inter ethniques et tribales. Pour la Ccmn, il est question qu’à travers les médias partenaires, que les discours de Paix soient prônés au quotidien, à l’effet de déconstruire certains préjugés pour un Cameroun uni dans sa diversité. Cette diversité culturelle et éthique qui constitue en réalité une richesse.
DES DISPOSITIONS LÉGALES
La loi nº 2019/020 du 24 décembre 2019, modifiant et complétant certaines dispositions de la loi nº 2016/007 du 12 juillet 2016 portant Code Pénal, est suffisamment claire quant à la répression des infractions relatives aux discours de haine ou de xénophobie. L’Article 241-1, intitulé outrage à la tribu ou à l’ethnie, dispose à l’alinéa 1 que: “Est puni d’un emprisonnement d’un à deux ans et d’une amende de 300 000 FCFA à 3 000 000 FCFA celui qui, par quelque moyen que ce soit, tient des discours de haine ou procède aux incitations à la violence contre des personnes en raison de leur appartenance tribal ou ethnique”. À l’alinéa 2 de la même disposition, le législateur précise qu’ “En cas d’admission des circonstances atténuantes, la peine d’emprisonnement prévue à l’alinéa 1 ci-dessus ne peut être inférieure à trois mois et la peine d’amende à 200 000 FCFA”, avant d’ajouter que “Le sursis ne peut être accordé sauf en cas d’excuse atténuante de minorité”.
Cependant, certains acteurs de la société dont les journalistes, sont beaucoup plus visés par le code pénal qui parle des circonstances aggravantes à l’égard des contrevenants. Et l’article 241 dans son alinéa 3 de préciser : “Lorsque l’auteur du discours de haine est un fonctionnaire au sens de l’article 131 du présent code, un responsable de formation politique, de média, d’une organisation non gouvernementale ou d’une institution religieuse, les peines prévues à l’alinéa 1 ci-dessus sont doublées et les circonstances atténuantes ne sont pas admises”.
Au regard de l’arsenal juridique mis en place, il est clair que la Cameroon Community Media Network (Ccmn), à travers ces ateliers organisés à intervalles réguliers, permet aux acteurs du secteur des médias de savoir à quoi s’en tenir face à la rigueur de la loi, au-delà même de sa mission, celle de voir la Paix régner en tout temps et en tout lieu grâce aux activités de la Presse. Une dimension à encourager en sommes, pour botter en touche les rivalités inutiles entre les ethnies, lesquelles rivalités peuvent être la source d’une guerre civile.
Houzerou NGOUPAYOU